d’imaginer un dialogue entre les deux philosophes médiévaux, Boèce et Duns Scot, à propos d’un château en ruines.


Médiévaux, médiévaux … c’est vite dit. Le premier vit autour de 500 et le second autour de 1300. Courtes biographies après le dialogue. Ecoutons-les quand même …
Par un après-midi voilé, Boèce et Duns Scot marchent lentement parmi les ruines d’un château oublié. Les pierres éparses sont recouvertes de mousse, et le vent siffle à travers les fenêtres brisées. Ils s’arrêtent devant une arche effondrée, contemplant ce qui fut jadis un lieu de grandeur.
Boèce : Quelle tristesse que de voir ces vestiges d’une splendeur révolue… Jadis, ce château résonnait des voix et des chants, de la sagesse des rois et de la force des chevaliers. À présent, il n’est plus que silence et poussière. N’est-ce pas là l’image même de la fortune, changeante et cruelle, qui élève et renverse les empires sans souci de la souffrance des hommes ?
Duns Scot : Certes, ce lieu porte la marque du temps, mais pourquoi le voir uniquement comme un témoignage de la ruine et de la perte ? Chaque pierre demeure, chaque brèche raconte une histoire. Ce château n’est pas seulement un souvenir effacé par la fortune, il est une trace du passé qui persiste, un signe de l’individualité des choses.
Boèce : Mais que vaut une pierre isolée si l’ensemble a disparu ? Ce château n’a plus sa fonction, plus sa grandeur. Il est l’image d’un monde révolu, une preuve que tout ce qui est soumis au temps finit par s’effondrer.
Duns Scot : Et pourtant, même dans la ruine, il y a une singularité. Chaque pierre n’est pas simplement une ombre du passé, elle existe par elle-même. La nature a repris ces murs, le lierre et la giroflée s’y accrochent, les oiseaux nichent dans ses crevasses. Ce château n’est pas un néant, il est un lieu transformé, un entrelacement de passé et de présent.
Boèce : Vous voyez dans ces ruines une continuité que je ne perçois pas. Moi, j’y vois la preuve que toute grandeur humaine est vouée à disparaître, que seule la sagesse permet d’accepter le renversement des choses.
Duns Scot : Peut-être, mais pourquoi ne pas voir aussi la singularité de ce qui reste ? Ce château n’est plus une forteresse, mais il est autre chose : un refuge pour la nature, un témoin du temps, un mystère à déchiffrer. Son existence n’est pas abolie, elle a simplement changé de forme.
Le vent souffle à travers les pierres fendues. Boèce regarde les nuages défiler, songeant à l’impermanence du monde. Duns Scot pose la main sur une pierre moussue, sentant sa fraîcheur sous ses doigts. Deux visions du temps se croisent, l’une tournée vers la perte, l’autre vers la persistance silencieuse des choses.
Courtes biographies :
Boèce est un homme de la fin de l’Empire romain mais ses écrits ont très fortement influencé la pensée médiévale. Anicius Manlius Severinus Boethius est né vers 480 à Rome et condamné à mort en 524 à Pavie par Théodoric le Grand, est un philosophe et homme politique latin. Témoin des derniers feux de l’Empire romain, il occupe une place fondamentale dans la transmission de la philosophie antique en Occident. Sa traduction en latin de l’œuvre logique d’Aristote, ainsi que son commentaire par Porphyre de Tyr, exerceront une influence déterminante sur la philosophie médiévale. Emprisonné à la fin de sa vie, il rédige la Consolation de Philosophie, dans laquelle la poursuite de la sagesse et l’amour de Dieu sont décrits comme les véritables sources du bonheur.
Jean Duns Scot (vers 1266 à Duns – 1308 à Cologne), surnommé le « Docteur subtil », est un théologien et philosophe écossais, fondateur de l’école scolastique. Il fut la fierté de l’ordre franciscain, et influença profondément Guillaume d’Ockham. Il s’oppose donc à Thomas d’Aquin le dominicain. Trois idées fortes : 1) la différence entre Dieu et les créatures n’est pas une différence d’être comme chez Thomas d’Aquin ou Maître Eckhart, elle tient à ce que Dieu est infini et la créature finie. 2) Il a aussi creusé les notions de singularité et d’individuation. 3) L’éthique de Jean Duns Scot met l’accent sur la volonté personnelle et la charité.









